Les incroyables Comestibles vers l’autonomie alimentaire. Vraiment ?


Voilà quelques temps que la rédaction d’un billet sur les Incroyables Comestibles à Liège et le rôle que ce mouvement peut jouer dans l’autonomie alimentaire des villes me trottait dans la tête.

La situation de crise sanitaire mondiale que nous connaissons pour le moment n’est pas étrangère à cette idée d’écrire « un petit quelque chose », comme une volonté d’affirmer à nouveau ce en quoi je crois depuis 7 ans : le potentiel inimaginable des Incroyables Comestibles dans l’indispensable changement de société.

C’est en regardant, par hasard, le début du film « demain » (déjà vu à plusieurs reprises et disponible sur Auvio) qu’une évidence s’est précisée dans ma tête : les Incroyables Comestibles inventent un nouveau récit qui donne envie de construire un autre monde.

La pandémie actuelle montre clairement les limites et les impasses de notre système capitaliste, et prouve (s’il était encore nécessaire de le faire) la fragilité de nos territoires à gérer une crise sanitaire (écologique, économique, …) mais aussi potentiellement alimentaire.

« Car selon la plupart des experts, c’est par la nourriture que nos civilisations peuvent s’effondrer. Et là où notre modèle économique et industriel s’est déjà effondré, comme à Detroit aux Etats-Unis, ou à Todmorden en Angleterre, c’est grâce à la nourriture que les habitants ont commencé à inventer une nouvelle histoire, à la fois pour mieux vivre mais aussi pour survivre à ces types de chocs. »1

Raconter une nouvelle histoire, mais pour quoi faire?

« Il faut [donc] proposer un récit suffisamment puissant pour remplacer celui sur le capitalisme et le néolibéralisme qui dominent aujourd’hui […] Ces récits se construisent de façon collective […] Mais pour qu’il remporte la bataille, il faut que des millions de personnes prennent conscience qu’ils en font partie. Il faut bâtir des stratégies de mobilisation pour éviter la dispersion »2

En installant des potagers en libre-service dans l’espace public, les habitants de Todmorden voulaient recréer du lien social tout en parlant de nourriture. Sans le savoir, ils inventaient un nouveau récit, ils créaient un mouvement citoyen qui allait se propager partout dans le monde et permettre une mobilisation incroyable (!). Mais ils écrivaient également les premiers chapitre de leur livre à eux, l’histoire d’une ville qui allait relocaliser son économie et le pouvoir des gens au départ de la culture de légumes dans l’espace public.

Car si les bacs des Incroyables Comestibles n’ont pas la vocation de nourrir les populations, c’est leur rôle de propagande qui est mobilisateur. Je repense souvent à un échange avec un maraîcher lors du lancement du mouvement à Liège qui me disait que c’était utopique cette idée de « nourrir les gens avec des bacs », que nous véhiculions un mensonge. Au delà de l’émotion personnelle que j’avais ressenti, je n’avais pas eu à l’époque les mots pour répondre. Aujourd’hui, plus que jamais, je crois en la capacité de ce projet à mobiliser largement, et je suis convaincue de son rôle d’activateur de la transition alimentaire.

L’« expérience de Todmorden démontre que l’auto-suffisance des territoires grâce à la participation citoyenne, ça marche ! Les Incroyables comestibles sont un puissant levier de métamorphose du territoire, et de relocalisation de l’économie. 3

Planter des légumes, faire éclore une révolution.

Voilà la trame de ce nouveau récit ! Imaginez que l’espace dit « public » le soit réellement, et que chaque citoyen puisse y installer un bac potager à partager, avec le soutien (et même la bénédiction) des autorités locales.

Imaginez que chaque personne puisse utiliser ces dispositifs, gratuitement, et que la nourriture produite soit à partager, sans condition avec un écriteau « servez-vous librement ». Ces dispositifs appartiennent à tout le monde, chacun peut y participer, avec sa sensibilité, sa créativité, et son temps disponible, sans jugement et sans contrôle.

Imaginez que celui qui récolte n’est pas nécessairement celui qui a planté, et que c’est ok !

Imaginez que nos villes, devenues si minérales, peuvent se reverdir et s’embellir, tout en participant à un mouvement d’autonomie alimentaire global, et en participant à réguler la température de nos espaces de vie extérieur en cas de canicule,

Imaginez l’effet boule de neige que ce « il était une fois » pourrait engendrer ?

« C’est comme si cultiver pour l’autre procurait une sensation nouvelle, ouvrait d’heureuses perspectives, rendait l’espoir qu’un autre monde est possible en étant nous-même acteurs du changement. Certains vous diront que cela procure un sentiment de liberté. »4

Toutes les conditions sont réunies à Liège pour que le mouvement puisse grandir, au delà de ce que nous pouvons imaginer. Les graines sont plantées depuis des années maintenant, le terreau liégeois s’est étendu d’une manière considérable grâce au travail notamment de la Ceinture Aliment-terre, la prise de conscience grandit, la Ville de Liège est partie prenante de l’amplification via la mise en place du Permis de Végétaliser….

Restent aux Incroyables Comestibles à entraîner de nouvelles personnes, associations ou institutions dans ce tourbillon et à devenir le moyen incontournable de sensibilisation et de ralliement, la plume nécessaire pour écrire notre histoire d’autonomie alimentaire.

Emilie THOMAS, animatrice au centre Liégeois du Beau-Mur, chargée du soutient aux Incroyables Comestibles à Liège et au développement du Permis de Végétaliser.

Photo : Frédéric Raevens

1 Etrait introductif du chapitre sur l’agriculture du film « demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent.

2 https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/construire-un-nouveau-recit-cyril-dion-800413.html

3 https://www.reseautransition.be/articles/le-secret-des-incroyables-comestibles/

4 Préface du livre « Les Incroyables Comestibles. Planter des légumes, faites éclore la révolution », p12.